
Alors que je me prélassais tranquillement dans mon siège de 1ère classe dans le train dimanche dernier, j’ai été pris d’une soudaine envie d’écrire ! C’est alors que le chef de bord annonça notre arrivée en gare d’Avignon. Or, pour tout fan de F1, évoquer Avignon c’est évoquer Jean Alesi.
Jean est né le 11 juin 1964 en Avignon. Mais c’est bel et bien en Italie que remontent ses origines (son vrai prénom est Giovanni), et plus précisément en Sicile d’où est arrivé son père Frank à 19 ans. Ce dernier exerce le métier de carrossier, et bien évidemment, Jean Alesi contracte le virus de la course. Après avoir passé ses jeunes années à supporter son père pilote dans des courses de côte, Jean franchit le pas en 1981 et dispute la ligue Provence-Alpes-Côte d’Azur de karting. Brillant 2nd pour sa 1ère année, Alesi remporte le titre régional l’année suivante.
Il s’oriente ensuite vers les berlines en s’engageant dans la coupe Renault 5 Turbo. La saison est difficile, mais Jean parvient tout de même à remporter une victoire à Nogaro, dans des conditions dantesques. Déjà, Alesi s’impose comme un redoutable client sur le mouillé.
La famille Alesi se rend néanmoins compte que si Jean veut faire carrière, il faut pour cela briller en monoplace. Pour se faire, Jean participe au volant Elf, qui récompense le plus rapide des pilotes de cette session par une saison en formule Renault. Mais Alesi termine 2ème derrière Eric Bernard, que le jury a autorisé à repartir après un tête-à-queue. Malgré cette controverse, Jean tente de laver l’affront en s’alignant avec sa propre structure (composée du père de Jean, son frère José et un mécano retraité !) dans ce championnat de France de Formule Renault. L’année n’est ponctuée que d’une 2nde place, mais 1985 sera un meilleur cru puisque Jean termine 5ème du championnat, derrière des pilotes du calibre d’Eric Bernard et Erik Comas.
Son passage en formule 3 n’est donc pas étonnant, ce qui l’est davantage c’est son choix de châssis, puisqu’Alesi fait importer un châssis Dallara sur lequel il greffe un moteur Alfa Romeo, grâce à la générosité de son sponsor, la SNPE (Société Nationale des Poudres et Explosifs). Pour une fois, Jean se retrouve avec un bon matériel entre les mains, et il va en faire bon usage en terminant vice-champion derrière Yannick Dalmas.
Il est alors pris en mains par Hugues de Chaunac, le patron de l’équipe Oreca, véritable épouvantail dans le microcosme du sport auto tricolore. Mais l’équipe aligne des châssis Martini, dont Jean s’avère vite très mécontent. Alors à Nogaro, Jean emprunte la voiture de l’équipe de son frère (une Dallara), et remporte la course devant les yeux médusés de l’écurie Oreca, qui troqua séance tenante ses châssis Martini pour des Dallara ! Jean aligne alors une série impressionnante de 7 victoires, qui font de lui le champion de France de F3 1987.
Oreca, qui aligne aussi des voitures en formule 3000 le fait logiquement grimper d’un échelon en l’alignant de l’antichambre de la formule 1. Cette année de rodage est difficile, Jean ne termine que 10ème du championnat avec 11 points, et un podium dans les rues de Pau (2ème). En fin d’année, il dispute le prestigieux grand prix de F3 de Macao qu’il mène largement avant l’éclatement d’un pneu. Eddie Jordan (patron d’une écurie concurrente en F3000) remarque les exploits de l’Avignonnais et l’enrôle pour la saison 89. Jean passe du coup du mécénat de Marlboro à celui de Camel, ce qui aura de lourdes conséquences …
Au sein de l’équipe dominante dans ce championnat, Alesi va faire des étincelles en remportant le grand prix de Pau, avant de prendre la tête du championnat lors de l’épreuve suivante le 4 juin. Quelques jours plus tard, à l’échelon supérieur (la formule 1) Ken Tyrrell se débat pour trouver des sponsors. Il déniche un contrat avec le cigaretter Camel, ce qui provoque le départ de son pilote n°=1 Michele Alboreto, sous contrat avec le concurrent direct de Camel, Marlboro ! Tyrrell doit alors trouver un remplaçant à l’Italien, et pourquoi pas quelqu’un sous contrat avec Camel …
Alesi est contacté par Tyrrell, qui parvient à convaincre Eddie Jordan de lui prêter son protégé. Il va donc pouvoir faire ses débuts en formule 1, sur le circuit Paul Ricard pour le GP de France.
Qualifié 16ème à 6/10èmes de son équipier Jonathan Palmer, Jean Alesi va effectuer une course sensationnelle qui le mènera à la 4ème place finale, alors même qu’il occupait la 2ème place avant de changer ses pneus ! Ken Tyrrell peut exulter, il vient une nouvelle fois de mettre la main sur un petit prodige. Alesi est bien évidemment prolongé chez Tyrrell, même s’il continue à piloter en F3000 pour tenter d’y remporter le titre. Il réalise un autre exploit en F1 à Monza en finissant 5ème, malgré la faiblesse de son petit V8 Ford-Cosworth ; puis encore un autre à Jerez où il termine à une époustouflante 4ème place. Il est finalement 9ème du championnat avec 8 points, et cela en ayant disputé seulement la moitié des courses !
En F3000, ses victoires à Birmingham et Spa-Francorchamps lui permettent de devenir champion intercontinental, au terme d’une année en touts points éblouissante.
Et 1990 commence de la même manière, par un exploit ! Qualifié 4ème dans les rues de Phoenix, Alesi prend la tête du grand prix jusqu’au 35ème tour, moment où Ayrton Senna le dépasse … avant qu’Alesi ne reprenne la tête au virage suivant au prix d’une manœuvre extraordinaire ! Mais la petite Tyrrell-Ford V8 ne peut rien face à la McLaren-Honda V10, et Senna prend définitivement la tête du grand prix au tour suivant. Perclus d’ampoules aux mains, Alesi n’en sauve pas moins une magnifique 2ème place, synonyme de 1er podium en F1.
3 courses plus tard, Jean réalisé un nouvel exploit (encore un !) dans les rues tortueuses et piégeuses de Monaco. Qualifié à une étonnante 3ème place, Alesi harcèle le 2nd, Alain Prost, avant que celui-ci ne se retire au 30ème tour. Alesi hérite alors d’une deuxième place qu’il sauvera in extremis des assauts de Gerhard Berger, équipier chez McLaren de Senna, vainqueur de ce grand prix. Mais la suite de l’année sera plus décevante, Jean ne marquant plus aucun point. Néanmoins, avec 13 points marqués et une 9ème place au classement, le bilan est plus qu’honorable.
Au cours de cette année 1990, Jean a du faire face à un choix cornélien. Son statut de petit prodige fait de lui un pilote très convoité, notamment par Williams-Renault et Ferrari. Alesi opte d’abord pour l’équipe Anglo-française. Mais Alesi apprend que Frank Williams négocie en parallèle avec Ayrton Senna (qui ne viendra finalement pas), et se dresse alors sur ses ergots. Il devient une proie plus que facile pour Ferrari. Pour un pilote aux origines Italiennes, piloter pour Ferrari c’est comme rentrer dans les ordres, et Alesi rejoint son compatriote Alain Prost chez les rouges pour 1991. Presque 20 ans plus tard, on mesure l’ampleur de ce geste … L’équipe Williams-Renault allait en effet dominer la F1 entre 1991 et 1994 (titres mondiaux pour Mansell en 1992 et Prost en 1993). Imaginez si Jean avait fait partie de cette aventure …
Malheureusement, le rêve que l’on imaginait s’effondre très vite. La Ferrari est loin d’être une foudre de guerre, et Jean ne pourra faire mieux qu’une 7ème place au classement final avec 21 points et trois 3èmes place à Monaco, Hockenheim (GP d’Allemagne) et Estoril (GP du Portugal). A noter qu’il était en passe de remporter le GP de Belgique avant qu’une casse moteur ne le contraigne à l’abandon à 15 tours de l’arrivée.
Alain Prost licencié, Alesi voit arriver Ivan Capelli, lui aussi brillant espoir de la formule 1, pour 1992. Mais si 1991 fut décevante, 1992 sera décourageante. Au volant d’une monoplace aussi poussive que rétive, Jean n’inscrira que 18 points, dont 2 podiums à Barcelone et Montréal. La débâcle est totale pour Ferrari qui ne marque que 21 points cette année là !
Un manque de résultat fatal à Capelli, remplacé en fin d’année par le pilote essayeur Nicola Larini, avant l’arrivée de Gerhard Berger pour 1993. Mais l’année est toute aussi catastrophique, Ferrari ne marquant que 28 points et manquant de se faire passer par Ligier avec 21 points ! Alesi marque 16 points, avec pour seules satisfactions une 3ème place à Monaco et une superbe 2ème place à Monza, le temple des tifosis.
Avec l’arrivée de Jean Todt à l’été 1993, tous les observateurs attendent beaucoup de la Scuderia en 1994. Cela commence plutôt bien pour Jean qui termine 3ème du 1er GP de l’année au Brésil. Mais Jean frôle le drame quelques jours plus tard lorsqu’il se blesse aux cervicales après une violente sortie de piste survenue lors d’essais privés à Fiorano. Indisponible pour 2 grands prix, Alesi fait son retour à Monaco. La suite de l’année sera contrastée. Si Alesi effectue de belles courses (3ème à Montréal, 2ème à Silverstone), il ne parvient toujours pas à concrétiser ces promesses par une victoire. A Hockenheim, alors qu’il part en 1ère ligne aux côtés de son équipier Berger, Alesi est victime d’une casse moteur dès la 1ère ligne droite laissant l’autrichien Berger remporter la victoire, la 1ère d’une Ferrari depuis 4 ans. Dès lors, la fin de l’année sera encore plus difficile pour Jean. Il abandonne au GP de Belgique dès le 2ème tour alors qu’il était 2ème. Pire, à Monza, pour le GP d’Italie : Alesi signe sa 1ère pôle en carrière en 81 grands prix. Au départ, le français s’envole et compte 11 secondes d’avance au 15ème tour, moment de son 1er ravitaillement. Une fois l’opération effectuée, la Ferrari reste clouée à son stand, boîte de vitesses cassée. C’est un Alesi hors de lui qui s’extrait de sa monoplace jetant volant, gants et casque dans le stand Ferrari.
La seule éclaircie en cette fin d’année viendra lors du GP du Japon disputé dans des conditions apocalyptiques, ce qu’affectionne tout particulièrement Alesi. Après une bataille titanesque avec la Williams de Nigel Mansell, Alesi arrache de haute lutte la 3ème place. Avec 24 points, Alesi est 5ème du championnat, 2 places derrière Berger.
1994 fut l’année de Berger, 1995 sera celle d’Alesi. Il signe en début d’année 2 2èmes places coup sur coup à Buenos Aires et Imola, avant de renoncer à deux reprises à Barcelone et Monaco (il occupait à chaque fois la 2ème place).
Puis arrive ce fameux 11 juin 1995, jour du 31ème anniversaire de Jean Alesi. Lors de ce GP du Canada, Alesi part en 5ème position mais s’installe très vite en 3ème position avant de doubler avec autorité Damon Hill. Il se retrouve 2ème, derrière l’inamovible Michael Schumacher. On s’achemine vers une nouvelle 2ème place de Jean lorsqu’au 58ème des 69 tours prévus, Schumacher passe au ralenti ! Après un arrêt d’une minute pour identifier la panne, l’Allemand repart 8ème. Alesi est en tête ! Et il le restera. C’est sous une ovation rarement atteinte que Jean Alesi franchit en vainqueur la ligne d’arrivée de ce GP du Canada, qui le voit remporter sa 1ère victoire en carrière. Au Québec, cette victoire est chargée d’émotion : Alesi pilote la Ferrari n°=27, ce numéro cher à Gilles Villeneuve, l’enfant chéri de Berthieville décédé en 1982. C’est un Alesi en larmes qui est ramené aux stands par Schumacher, après que sa Ferrari l’a trahi … mais pour une fois après la ligne d’arrivée. Enfin, après 91 grands prix, Alesi goûte à la joie d’une victoire en F1. Cette consécration aurait pu même se répéter à Monza (il est stoppé à 8 tours de l’arrivée par un roulement de roue défaillant) et au Nürburgring (où il est dépassé à 2 tours du but par un Schumacher en état de grâce). Ce fin de championnat est aussi marqué par son engagement par Benetton-Renault, après que Jean Todt l’ai limogé pour le remplacer par Michael Schumacher. Alesi termine ce championnat 5ème, avec 42 points.
Le feuilleton Alesi-Ferrari s’achève, un nouveau débute. Alesi retrouve chez Benetton Gerhard Berger, remplacé chez Ferrari par Eddie Irvine. Ce sera la meilleure année pour Alesi, mais une année encore une fois marquée par la malchance. L’Avignonnais termine 4ème du championnat avec 47 points (c’est tout de même peu compte tenu du statut de champion en titre de son équipe). Il signe 8 podiums, mais passe encore une fois à côté de la victoire. C’est à Monaco cette fois-ci que se joue le drame. Dans des conditions piégeuses, Alesi est 2ème derrière Hill lorsque le Britannique explose son V10 Renault au 40ème tour. Sous les hourras de la foule, Jean prend la tête … avant de renoncer, encore une fois, suite au bris d’une suspension. Il laisse la mort dans l’âme la victoire à son compatriote Olivier Panis.
Sa 2ème année chez Benetton sera moins bonne, marquée par de nombreuses tensions avec son patron d’écurie Flavio Briatore. Alesi signe 5 podiums, ainsi qu’une pôle à Monza (où il est follement acclamé). Mais encore une fois, Alesi doit laisser filer la victoire et se contenter d’une 2ème place. Au terme de la saison, Alesi est 4ème avec 36 points, tandis que Berger est 5ème avec 27 points mais en ayant remporté le GP d’Allemagne. A la surprise générale, Jean Alesi annonce son arrivée chez Sauber-Petronas en vue de l’année 1998.
Après avoir, pendant de nombreuses saisons, navigué en haut de tableau, Alesi doit faire connaissance avec le ventre mou du peloton. La Sauber n’est pas une mauvaise voiture, et Jean s’illustre à de nombreuses reprises au cours de l’année. Mais sa fiabilité désastreuse l’empêche de concrétiser ses bons débuts de course. Alesi inscrit 9 petits points, avec en point d’orgue la 3ème place du terrifiant GP de Belgique.
1999 ? La même que 1998, mais en pire ! Jean Alesi ne pourra inscrire que 2 petits points, la faute encore une fois à la fragilité de sa monture. Lassé de ces casses à répétition, Alesi annonce à la fin de l’été son départ de chez Sauber, pour rejoindre son grand ami Alain Prost (il est le parrain d’un des enfants de Jean Alesi) dans son équipe.
Jean Alesi, Alain Prost, Peugeot. Sur le papier, cette association a de la « gueule ». A l’aube du 3ème millénaire les Bleus nourrissent de grandes ambitions, qui sont bien vite détruites. La saison 2000 tourne à l’humiliation pour l’équipe Prost qui n’inscrit aucun point et termine dernière au classement. Performances déplorables, fiabilité à revoir, jamais Alesi n’a pu se mêler à la lutte pour les points (à l’exception de Monaco où il était 7ème avant d’abandonner). L’humiliation est trop grande pour Peugeot qui met fin à son aventure en F1, Alain Prost remplace les blocs Sochaliens par des moteurs Ferrari ancienne génération rebadgés Acer.
Paradoxalement, l’année 2001 est bien meilleure que l’année 2000 pour Prost et Alesi, elle marquera pourtant la fin, brutale, de leur collaboration. Si en début d’année la monoplace n’est pas la plus rapide, elle fait preuve en revanche d’une remarquable fiabilité. Fiabilité récompensée à Monaco où Alesi termine 6ème, marquant son premier point depuis 1 an et demi ! Et rebelote deux semaines plus tard où Alesi, survolté, prend la 5ème place du GP du Canada à Montréal ! Après une ultime 6ème place à Hockenheim, Alesi quitte le navire Prost GP. Le feu couvait depuis plusieurs semaines, les tensions devenaient trop fortes entre les deux hommes. Alesi trouva refuge chez son ancien employeur en F3000, Jordan. 6ème à Spa, Jean Alesi annonce ensuite la fin de sa carrière en F1, une carrière qui prendra fin à Suzuka sur une violente sortie de piste. Coïncidence troublante, les carrières d’Alesi et Prost GP auront pris fin au même moment …
Alesi se tourne alors vers le championnat d’Allemagne de Supertourisme, le prestigieux DTM. En 4 saisons, Jean cumule 4 victoires chez Mercedes mais ne parvient pas à s’imposer comme un candidat en titre. Fin 2005 il annonce sa retraite sportive, malgré une dernière incartade dans le championnat Speedcar Series, auquel il a ardemment contribué. Ce championnat de stock-cars à l’européenne regroupe d’anciennes gloires de la F1, et Jean y remportera 2 victoires. Il est aujourd’hui le capitaine de l’équipe de France FFSA.
La carrière de Jean Alesi fut marquée pendant bien longtemps du sceau de la malchance. La malchance chez Ferrari surtout, mais aussi un choix de carrière malheureux qui l’a vu rejoindre la Scuderia au plus mauvais moment alors que l’équipe Williams en pleine ascension l’avait initialement engagé. Néanmoins, malgré un palmarès peu étoffé, Alesi a su trouver dans le cœur des aficionados de F1 une place de choix, et notamment chez les Tifosis. Certes Lauda et Schumacher étaient acclamés par les supporters de Ferrari pour leurs nombreuses victoires. Mais ils sont deux et seulement deux à être aussi follement acclamés, malgré un palmarès limité : Gilles Villeneuve, et Jean Alesi qui a repris le numéro 27 du petit québécois chez Ferrari. Alesi, c’est un peu notre Gilles Villeneuve français. Un pilote généreux, fougueux, spectaculaire et enthousiasment. Le dernier des mohicans en quelque sorte, le dernier de cette lignée de pilotes qui n’avaient pas froid aux yeux, qui ne se posaient pas de questions. Alors bien entendu, il y’avait quelques accidents et sorties. Mais bien loin de cette image de pilote dangereux et irréfléchi que l’on a voulu créer en France. Comme quoi notre beau pays ne sait pas toujours reconnaître à leur juste valeur nos champions …
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire