vendredi 21 août 2009

L'histoire de la formule 1 : 1er épisode, Luca Badoer

Régulièrement, je vous raconterais l’histoire de ceux qui font, ou ont fait la formule 1.

Aujourd’hui, et pour coller au plus près de l'actualité des grands prix, gros plan sur Luca Badoer.

Copyright Ferrari

Curieuse carrière que celle de ce brillant pilote Italien né le 25 janvier 1971 en Vénétie. En 1985 il débute par le Karting et remporte immédiatement 2 victoires. L’année suivante il devient champion régional, et même champion national en 1987. Incontestablement ce jeune homme a un beau coup de volant, puisqu’il réédite cette performance l’année suivante. En 1989 logiquement Badoer s’oriente vers la monoplace, dans le championnat d’Italie de F3. Après une année de rodage Luca empoche sa 1ère victoire en 1990 et termine 10ème du championnat. Sa progression continue en 1991 puisqu’il remporte 3 nouvelles victoires et termine 4ème au classement général.

Puisque, et c’est bien connu, l’appétit vient en mangeant, Luca Badoer franchit une marche supplémentaire en 1992 en s’engageant dans le championnat intercontinental de formule 3000, l’antichambre de la formule 1. Et pour sa 1ère expérience dans la discipline, il réussit l’exploit de remporter le titre, en empochant la bagatelle de 4 victoires en 10 courses ! Il devance au championnat de futurs grands noms de la F1 tels que Rubens Barrichello, David Coulthard ou Olivier Panis.

La F1 justement, c’est l’ambition toute naturelle que nourrit un Badoer tout auréolé de son titre en F3000. Pourtant, une seule porte lui est ouverte, celle de la modeste écurie BMS Scuderia Italia. Qu’à cela ne tienne, Luca tente sa chance et entre dans cette écurie quasiment à 100% Italienne. Il aura pour coéquipier l’expérimenté Michele Alboreto, un bel étalon somme toute.

Malheureusement, après les lauriers et les espoirs nés en 1992, Badoer va faire connaissance avec les désillusions et les railleries en 1993. Au volant de sa Lola pourtant motorisée par un V12 Ferrari, Badoer va traîner sa misère tout au long de l’année. Toujours qualifié en fond de grille (il ne fera jamais mieux que le 21ème chrono), il connaît même l’affront de deux non-qualifications à Donington pour le GP d’Europe et à Monaco. Lorsqu’il connaît la chance de terminer des courses, c’est systématiquement à 2, 3 voir 4 tours du vainqueur. La saison est à ce point catastrophique chez BMS Lola-Ferrari que l’écurie ferme ses portes à 2 courses de la fin du championnat. Les seuls points positifs de cette saison : une miraculeuse 7ème place acquise au GP de Saint-Marin à Imola, et la satisfaction de devancer 1 fois sur 2 son équipier Alboreto en qualifications.

Voilà donc Badoer sur la touche, fin 1993. Il est cependant en lice pour le 2ème volant Benetton (aux côtés du premier pilote un certain Michael Schumacher) face au finlandais JJ Lehto. Mais lors d’essais privés, Badoer détruit sa Benetton dans une sortie de route, et c’est finalement Lehto qui est choisi pour piloter cette monoplace en 1994. Luca doit se contenter d’un poste de pilote essayeur pour la petite Scuderia Minardi, qui a repris une partie des actifs de la BMS Scuderia Italia. Mais compte tenu des faibles moyens de la structure Italienne, Badoer n’effectuera que très peu d’essais en cette année 1994.

A la fin de cette année, Luca Badoer est promu pilote titulaire chez Minardi, afin de remplacer Michele Alboreto parti à la retraite. Mais au cours de la saison 1995, Badoer ne pourra une nouvelle fois pas montrer toute l’étendue de son talent, la faute à une monoplace sous-motorisée par un V8 Ford Zetec à bout de souffle et à des moyens dérisoires. Il réussit tout juste à décrocher deux 8ème places au Canada et en Hongrie. De plus, s’il parvient à faire jeu égal avec son premier équipier, le vieux routier Pierluigi Martini, il se fait dominer assez largement par le Portugais Pedro Lamy en fin de saison, à tel point que c’est le Lusitanien qui marque le seul et unique point de l’équipe Minardi pour 1995 en terminant 6ème du GP d’Australie.

Les galères ne sont pas pour autant finies pour Badoer, puisqu’il signe chez Forti début 1996. Car si les Minardi n’étaient déjà pas des foudres de guerre, que dire des Forti ? Lors du 1er grand prix de l’année à Melbourne en Australie, les deux monoplaces de Guido Forti sont non-qualifiées. Badoer est à 6’’8 secondes du meilleur temps, son équipier Andrea Montermini à 9’’7 secondes ! Le seul combat que pourra mener Badoer cette année, c’est celui contre le redoutable mur des 107%, synonyme de non-qualification. Dès lors, voir Luca se qualifier en 6 occasions sur 10 tentatives fera figure d’exploit (à titre de comparaison son équipier Montermini ne se qualifiera qu’à 5 reprises et ne finira qu’un seul grand prix, contre 2 à Badoer). La faiblesse des moyens de l’écurie Forti s’avère irrémédiable en milieu de saison, à tel point que la structure est dissoute à la veille du GP d’Allemagne, à l’instar de l’aventure Lola-Ferrari en 1993.

Voilà donc Luca Badoer une nouvelle fois à pied, à l’orée de l’année 1997. Une année qu’il consacrera (sans grand succès d’ailleurs) au championnat FIA GT. En 1998 il devient officiellement pilote d’essai de la Scuderia Ferrari. En plus d’effectuer des milliers kilomètres en essais privés, Badoer doit pallier, théoriquement, une éventuelle défaillance de l’un des deux pilotes titulaires…

Il occupe toujours ce poste en 1999, alors qu’en parallèle la Scuderia Minardi fait de nouveau appel à lui pour piloter en grand prix. Il aura à ses côtés le jeune espagnol Marc Gené. Malgré un début de saison tronqué par une blessure survenue aux essais du GP du Brésil (au cours duquel il est remplacé par le français Stéphane Sarrazin), Luca Badoer effectue une saison honnête, au cours de laquelle il parvient à devancer à plusieurs reprises son équipier espagnol. Mais cette saison aurait dû être celle de la consécration pour Badoer, celle de la concrétisation d’un rêve tant espéré. Tout commence au GP de Grande-Bretagne à Silverstone, le 11 juillet. Peu après le départ Michael Schumacher et Eddie Irvine se battent pour la 3ème place au volant des deux Ferrari, alors que le drapeau rouge est agité. Pour éviter l’accrochage Schumacher freine violemment, sort de la route et s’encastre dans le mur de pneus à plus de 150 km/h. Le diagnostic est sans appel : le double champion du monde a les deux jambes brisées. Jean Todt, le patron de la Scuderia doit alors trouver un remplaçant au champion allemand pour la suite du championnat. Tout le monde imagine que Luca Badoer sera choisi, et ce choix serait logique puisqu’il est le pilote de réserve de la Scuderia. Or, contre toute attente, Jean Todt choisi le finlandais Mika Salo (qui a déjà effectué un intérim cette saison chez Bar-Supertec en remplacement de Ricardo Zonta, bléssé à Interlagos) pour remplacer Schumacher ! Enorme déception pour Badoer, qui encaisse sans trop broncher cette décision pourtant contestable. Et comme une cruelle ironie du sort, le destin va le frapper douloureusement une seconde fois quelques semaines plus tard.

26 septembre 1999, GP d’Europe, sur le Nürburgring. La météo est capricieuse, la course totalement folle. Tous les favoris sont au tapis, et grâce à une stratégie judicieuse de son équipe, Badoer se retrouve propulsé en 4ème position, à moins de 20 tours de l’arrivée (il était parti 19ème !). L’exploit est à sa portée, et récompenserait fort justement sa carrière. Las ! Au 53ème tour, sur les 67 que compte la course, sa Minardi-Ford émet une fumée blanche synonyme d’abandon. Arbre de transmission cassé, Badoer range sa monoplace sur le bas-côté et en sortant de son cockpit, ne peut retenir ses larmes. L’image de Luca Badoer en sanglots, pleurant de rage sur le bord de la piste est certainement l’une des plus poignantes jamais vues en grand prix. Fort heureusement pour la petite écurie Minardi, son équipier Marc Gené parviendra à ramener le point salvateur de la 6ème place.

En à peine quelques semaines, Luca Badoer vient de voir passer devant lui les 2, et jusque là uniques chances de sa vie. Au début de l’année 2000, Minardi décide d’engager le jeune Argentin Gaston Mazzacane pour seconder Marc Gené. Luca Badoer est contraint de retourner à son poste de pilote d’essais chez Ferrari. Et durant toute cette décennie, le pilote Italien se contentera d’un rôle, certes primordial, mais non-reconnu par le grand public, loin des feux de la rampe et de la célébrité. En 2005 il est rejoint à ce poste par son ancien équipier chez Minardi Marc Gené. Début 2009, les deux hommes de l’ombre de Ferrari subissent de plein fouet l’interdiction des essais privés en cours d’année. Ils sont contraints au chômage technique 9 mois sur 12. Alors que Gené s’engage en parallèle dans la grande aventure Peugeot aux 24 heures du Mans, Badoer reste quant à lui à court de compétition, résigné en pensant que plus jamais il ne pourrait connaître l’ivresse des grands prix.

Et pourtant, une fois n’est pas coutume dans sa carrière si malchanceuse, le destin va frapper à la porte, mais dans le bon sens cette fois-ci.

25 juillet 2009, qualifications du GP de Hongrie. Au cours la 2ème partie des essais qualificatifs, les caméras s’arrêtent sur la Ferrari de Felipe Massa, encastré dans un mur de pneus du circuit du Hungaroring. Les ralentis sont à la fois formels et terrifiants. Le pilote Brésilien a été heurté de plein fouet par un ressort qui s’est désolidarisé de la Brawn GP-Mercedes de Barrichello. Mis K-O par ce choc effroyable survenu à 250 km/h, Massa n’a pu contrôler sa monoplace qui est sortie de la piste et à échoué violemment dans un mur de pneus. Fort heureusement, la vie du Pauliste n’est pas en danger. Mais ses blessures doivent l’éloigner des grands prix pendant plusieurs semaines.

Comme 10 ans plus tôt, la Scuderia Ferrari doit trouver un remplaçant à son pilote de pointe. Les premiers regards se tournent vers Marc Gené, splendide vainqueur des 24 heures du Mans en juin 2009. Seul problème, il n’a pas conduit en grands prix depuis 2005. Pourquoi pas Sébastien Bourdais, récemment limogé de l’écurie Toro Rosso-Ferrari, et dont le manager, Nicolas Todt est aussi celui de Felipe Massa ? Toutes ces hypothèses sont balayées lorsque Michael Schumacher annonce son retour en formule 1, en remplacement de Felipe Massa. Coup de tonnerre dans le microcosme des grands prix ! Le septuple champion du monde, l’homme de tous les records, qui avait pris sa retraite en 2006 va reprendre du service ! A une seule condition : que sa condition physique, récemment mise à mal par un grave accident survenu lors d’une course motocycliste, le lui permette. Les médias, les fans, les autorités sportives, tous se mirent à rêver d’un combat entre Schumacher et la nouvelle vague emmenée par Lewis Hamilton ou Sebastian Vettel. Las ! Quelques jours plus tard, Michael Schumacher annonce qu’il renonce à son come-back, en raison d’une faiblesse physique.

Et dans la foulée, la Scuderia Ferrari annonce le nom du remplaçant de Felipe Massa : Luca Badoer ! 2ème coup de tonnerre dans le monde des grands prix. Alors que le choix de Marc Gené eut été plus logique (surtout lorsque l’on sait que le GP d’Europe est organisé en Espagne, patrie de Gené), c’est finalement Badoer qui rafle la mise. C’est là tout le paradoxe de la carrière de Luca Badoer : alors que Ferrari ne lui a pas offert sa chance au moment le plus opportun et le plus logique (1999), elle lui offre sa chance sur le tard, au moment où l’on s’y attendait le moins !

En attendant les résultats de ce GP d’Europe, Luca Badoer compte désormais 2 records à son actif : alors qu’il détenait déjà celui du plus grand nombre de grands prix disputés sans avoir marqué de points (49), il détient désormais celui de la plus longue période d’inactivité entre deux participations en grand prix (10 ans), ex-aequo avec le néerlandais Jan Lammers (inactif depuis 1982, jusqu’à son retour en grand prix chez March en 1992).

Ce cadeau _ empoisonné ? _ est une juste récompense pour le fidèle Luca Badoer, en mémoire des services rendus à la Scuderia Ferrari. Et on ne peut lui souhaiter que de profiter au maximum de cette chance. Au nom de tous les passionnés de F1, bonne chance Luca ;)

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